Devant le palais de justice, en ce 23 décembre, les
paniers à salade sont en place, prêts à embarquer quiconque
se risquerait à protester trop bruyamment
contre ce que subissent, depuis maintenant presque
un an, Juan, Ivan, Bruno, Damien et Isa [1]. C’est aujourd’hui
que cette dernière, poursuivie pour « association
de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste », passe
devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de
Paris, qui doit examiner sa demande de libération. Face
à quelques dizaines de gendarmes bloquant l’accès à
la salle, une quarantaine de personnes venues en soutien
décide de sortir dans la rue. Une banderole est
déployée : « Liberté pour Isa, Damien, Juan et tous les
prisonniers. » Le cortège prend la direction du siège
de l’administration pénitentiaire au cri de, entre
autres, « Flics, porcs, assassins » [2]. La petite foule
apprendra un peu plus tard que la demande de mise
en liberté d’Isa a été une nouvelle fois rejetée.
Le 19 janvier 2008, Bruno, Damien et Ivan ont été mis en
examen pour « transport et détention de substances
incendiaires et explosives, association de malfaiteurs et
refus de se soumettre aux photos, aux prises d’empreintes
digitales et génétiques ». Découverts dans leur voiture,
le mélange de chlorate, farine et sucre destiné à fabriquer
des fumigènes, ainsi que des clous tordus pour
crever des pneus vont devenir entre les mains de la
police scientifique –qui « oublie » opportunément la présence
de la farine – une espèce de bombe à fragmentation.
Le 23 janvier, des douaniers trouvent dans la voiture
d’Isa et Farid du chlorate, deux ouvrages traitant du
sabotage et le plan d’un établissement pénitentiaire
pour mineurs trouvé sur Internet. Les enquêteurs affirment
que l’ADN d’Isa correspond à des traces laissées
sur des bouteilles d’essence placées sous une dépanneuse
de la police, début 2007. « Terrorisme ! », aboie aussitôt
la juge d’instruction, fourrant leurs supposées
velléités d’action dans la case d’une imaginaire « mouvance
anarcho-autonome francilienne ».
Ces jeunes vont alors connaître ce que subissent des milliers
de détenus. Ils vont décrire ce qu’on leur fait subir
dans plusieurs lettres parvenues à l’extérieur. Farid a été
tabassé par des prisonniers après qu’un maton l’eut
désigné comme militant d’extrême droite… Isa, soupçonnée
de préparer une évasion après avoir envoyé à
des proches un dessin de la prison, a souffert trois transferts
en un an. Accusée d’être l’instigatrice d’un mouvement
collectif dans la maison d’arrêt de Rouen, elle
a été jetée plusieurs fois au mitard, tout comme Damien,
libéré puis réincarcéré…
Ces « ennemis intérieurs » – pareillement aux épinglés
de Tarnac –, membres désignés de cet « espace de
contestation qui n’est plus encadré par un parti démocratique
», ainsi que le vaticinait Michelle Alliot-Marie
au printemps 2007, sont dorénavant le bouc émissaire
idéal sur lequel l’État cogne à bras raccourcis afin de
terroriser le reste du populo. Et si le signal émis menace
une autre frange sociale que celle que visaient les opérations
médiatico-policières dans les banlieues
(comme à Villiers-le-Bel en février 2008, dont cinq
habitants sont toujours en prison sans qu’il n’y ait la
moindre preuve contre eux), c’est que le gouvernement
semble se méfier avec méthode de presque toute la
société. « Quasi terroriste », avait bavé le porte-parole
des jeunes UMP en parlant du Réseau éducation sans
frontières… En attendant que le moindre blocage de
gare, de lycée, d’entreprise ou de terminal pétrolier soit
qualifié d’acte terroriste, la loi dite de « prévention
de la délinquance » a d’ores et déjà aggravé les sanctions
concernant l’entrave à la circulation des trains.
La population et les élus « pré-terroristes » de Gourdon,
dans le Lot, l’ont appris à leurs dépens. Plusieurs d’entre
eux viennent d’être déférés devant le tribunal correctionnel
pour avoir bloqué les voies. Ils exigeaient simplement
la réouverture de leur gare…
Article publié dans CQFD n°63, janvier 2009.